« Le Nord-Ouest est l’indication cardinale du soleil couchant au solstice d’été. Repère temporel de la mi-année, le titre de cette exposition vient comme un marque page, glissé entre jour et nuit. Une carte postale un peu surannée qui nous expédierait dans une brèche de temps. S’étirant d’entre des antagonistes, de la lumière et de l’ombre. Telle une photographie en noir et blanc dont on aurait trop poussé les contrastes, pour laisser la place à des tonalités assourdies. Les mots du féminin s’y déploieraient. Activités entre négatif et positif comme les valeurs intermédiaires d’un clair obscur. Et le rouge, ardent, viendrait comme un signe de ponctuation. Respiration fugace. Entre la ligne et le point. » C.B.
LES MOTS EXISTENT.
Les mots sont très présents dans le travail de Caroline Bron et y endossent plusieurs statuts. Qu’ils soient issus d’écritures libres demandées à des connaissances autour de son projet d’exposition, de textes poétiques ou de ceux écrits au dos d’une carte de vacances, discrètement, l’artiste réactive ces paroles perdues ou censurées dans ses performances et ses sculptures. Pourtant, les phrases citées sont rarement totalement lisibles : l’artiste ne restitue pas des idées, elle rend leur existence manifeste. Devenues objets, mises en sculptures, elles surgissent par bribes, investissent l’espace en nuées et en fils immenses, comme suggérant leur lecture empêchée. La mémoire et l’oubli irriguent son travail. S’il est le plus souvent en noir et blanc, c’est pour mieux évoquer la dualité du souvenir, à la fois présence et disparition. La plupart du temps, ses pièces prennent pour point de départ une forme, trouvée, dont elle effectue un moulage ou un recouvrement avec du plâtre. Ces traces de vécu, auxquelles on ne prête plus tellement attention, perdues dans les méandres du temps et sous l’accumulation des objets, deviennent entre ses mains des supports narratifs.
Quand le jour est sur le point de disparaître et que la nuit arrive, de quoi peut-on être sûr? Se glissant dans cette interstice, l’exposition ouvre un entre-deux. Entre rêve et réalité, entre histoire entendues et collages imaginés, une nouvelle narration prend forme. Nous sommes dans le domaine de la fiction, comme en témoigne la chaise de scénariste de l’installation Le Mot tire double. Un univers où les histoires ne demandent qu’à prendre la forme que nous voudrons leur donner. Le pistolet dissimulé parmi les pelotes est-il chargé ? Parviendra-t-on à retrouver les idées des philosophes grecques censurées ? Des jarres entrouvertes, on ne sait pas si les mots- pulsation des poétesses beatniks s’échappent ou s’ils vont bientôt se rétracter comme le génie de la lampe. Le corps lui-même est poétique, matériellement absent mais partout suggéré.
Au sein de cet univers fictionnel, le plâtre est le matériau de prédilection. Utilisé aussi bien par les artistes que par les archéologues, il renvoie à l’empreinte, notion qui traverse la pratique de Caroline Bron. Il permet d’inventorier les formes mais aussi de les combiner pour créer nouveaux sens ou anachronismes. Aussi figé que fragile, il est l’agent d’une muséification précaire. Il préserve sa forme et son existence mais peut s’émietter à tout moment. À moins que l’objet qu’il renferme n’ait déjà disparu ? Car le plâtre matérialise, aussi, le passage du temps. Il témoigne de son modèle autant qu’il en révèle l’absence.
Par ses action de préservation ou d’altération, Caroline Bron souligne à la fois la menace permanente de la perte et l’infinité des existences possibles.
Pascaline Vallée